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ismael

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27 août 2006

rêve

Allons

Venez

Nous trouverons de l’ombre un peu plus loin

Nous nous coucherons dedans

Nous dormirons

Puisque nous n’avons rien d’autre à faire

Venez

Allons rêver

Puisque nous n’avons gardé pour nous que nos rêves

Allons rêver

Loin des bûchers

 

Je me rappelle que quand j’étais gamin

Au temps où un pain coûtait 100 millimes

Mon père me battait

Puis me battait encore pour que je ne pleure pas

Après qu’il m’eût battu

En grandissant j’ai su

Que lui-même était battu

Puis battu encore pour qu’il ne pleure pas

Après qu’on l’eût battu

J’ai su que nous étions tous battu

Et qu’il faut se taire pour ne pas être battu encore et encore

Maintenant le pain coûte 300 millimes

Mon père et moi

Nous avons appris le silence

Nous avons même désappris à parler en silence

Mon père et moi nous avons appris à être des étrangers l’un pour l’autre

Mon père et moi

Nous avons appris le silence

Comme tous les autres pères et fils

Comme toutes les autres femmes et enfants

Tous

Nous avons appris le silence

Nous avons appris les dictées que d’autres ont préparées pour nous

Les dialogues que d’autres ont écrits pour nous

Les prêches du vendredi que d’autres ont rédigés pour nous

Plus rien ne sort de nos bouches

Sauf leurs phrases et les insultes qu’ils nous permettent de proférer

Les uns contre les autres

Mais surtout pas contre eux

Sinon ils nous battraient puis nous battraient

Encore

Pour qu’on ne pleure pas

 

Venez

Allons rêver

Puisque nous n’avons gardé pour nous que nos rêves

Nous nous coucherons dans l’ombre de notre honte et dormirons

Dormir pour rêver

Rêver pour vivre

Nous verrons Abou Nawas Whitman et Lorca

Roumi Rimbaud et Ginsberg

Et nous y croirons et nous y parlerons chanterons crierons

Malgré eux et leurs livres

Chacun d’entre nous inventera sa propre langue

Qu’il sera le seul à parler mais que les autres comprendront d’instinct

Chacun aura un corps d’enfant

Qui restera vierge même après l’amour

Et nous marcherons main dans la main

Chacun dans sa direction

 

Nous dormirons

Puisque nous n’avons rien d’autre à faire

Le pain a pourri dans nos mains

Nos prières ont des couteaux à la place des yeux

Est-ce que tu nous as déjà vu relever un homme tombé sur une fleur

Est-ce que tu nous as déjà vu

Décrocher un homme accroché au plafond

Ou enterrer un vagabond dans nos maisons

Ou planter un inconnu dans nos jardins

Ne nous as-tu pas vu les fuir

Les fuir

Fuir

Ne nous as-tu pas vu nous enterrer en nous-même

Nous momifier dans nos arbres

Et fuir

Fuir avec nos miroirs devant nos visages

Jusqu’à l’ombre

Où nous dormirons

Où nous ne fuirons plus

Nous dormirons

Nous rêverons

Nous dormirons

 

Ablutions

Menstrues

Prosternation sodomie

Sodomie

Enfant mort

S’enlever les cheveux un à un égorger ses parents ablution sang sodomiser l’enfant mort s’éjaculer

Un chien me mord au mollet

Aucune sensation

Père et mère même personne j’enfonce un pieu dans sa poitrine aucune sensation je me sodomise je m’éjacule aucune sensation

Libre folie désir

Libre

Aucune sensation

Est-il possible

Libre libre libre libre

S’enlever les cheveux un à un

Bruit sur bruit je ne l’entends pas je le sens je sens le bruit dans ma tête je sais qu’il est là quelque part qu’il est du bruit et rien que du bruit je sais qu’il sait qu’il est du bruit et rien que du bruit

Hier a-t-il existé

Demain est-il possible

Maintenant est quoi

Je est un dieu

Improviser un vide à manger vivant un corps à boire comme on boirait les couleurs lumière rayonnée X

Elle pleut

Au-delà

Le rêve est gris comme la réalité

Je l’ai perdu il y a longtemps

 

Je l’ai perdu il y a longtemps

Si longtemps que je l’ai oublié

Mais je la retrouve ici

Au sommet de cette montagne de sable

Des années entières

En un instant

Se déversent en nous

Sans dire un mot

Elle met mes mains sur son cou

Et ferme les yeux

Je la perds à nouveau

Cette fois-ci je l’oublie aussitôt

Comme si elle n’avait jamais été quelqu’un d’autre que moi

Comme si elle avait toujours été moi

Moi

Je me regarde comme si j’étais quelqu’un d’autre

Je me rends compte en cet autre

Que je suis

Moi

Que je suis tout simplement moi

Que rien ne m’appartient

Que je n’appartiens à rien

Je l’ai perdue

Je l’ai oublié

Je cherche

Je la cherche

Sans savoir ce que je cherche

Sans savoir que c’est elle que je cherche

Je veux

Et ma volonté sera faite

Je dirai à la lumière d’être

Et elle sera

Je suis

Je suis

Mais je ne saurai jamais

Qui je suis

Ni ce que je suis

 

La réalité est grise comme le rêve

 

 

 

(Sur « Hambourg concerto », « Double concerto » et « Requiem » de Gyorgy Ligeti, « Free Jazz » de Roberto Pettinato & Now et Radiohead (Live at Earls Court).)

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