rêve
Allons
Venez
Nous trouverons de l’ombre un peu plus loin
Nous nous coucherons dedans
Nous dormirons
Puisque nous n’avons rien d’autre à faire
Venez
Allons rêver
Puisque nous n’avons gardé pour nous que nos rêves
Allons rêver
Loin des bûchers
Je me rappelle que quand j’étais gamin
Au temps où un pain coûtait 100 millimes
Mon père me battait
Puis me battait encore pour que je ne pleure pas
Après qu’il m’eût battu
En grandissant j’ai su
Que lui-même était battu
Puis battu encore pour qu’il ne pleure pas
Après qu’on l’eût battu
J’ai su que nous étions tous battu
Et qu’il faut se taire pour ne pas être battu encore et encore
Maintenant le pain coûte 300 millimes
Mon père et moi
Nous avons appris le silence
Nous avons même désappris à parler en silence
Mon père et moi nous avons appris à être des étrangers l’un pour l’autre
Mon père et moi
Nous avons appris le silence
Comme tous les autres pères et fils
Comme toutes les autres femmes et enfants
Tous
Nous avons appris le silence
Nous avons appris les dictées que d’autres ont préparées pour nous
Les dialogues que d’autres ont écrits pour nous
Les prêches du vendredi que d’autres ont rédigés pour nous
Plus rien ne sort de nos bouches
Sauf leurs phrases et les insultes qu’ils nous permettent de proférer
Les uns contre les autres
Mais surtout pas contre eux
Sinon ils nous battraient puis nous battraient
Encore
Pour qu’on ne pleure pas
Venez
Allons rêver
Puisque nous n’avons gardé pour nous que nos rêves
Nous nous coucherons dans l’ombre de notre honte et dormirons
Dormir pour rêver
Rêver pour vivre
Nous verrons Abou Nawas Whitman et Lorca
Roumi Rimbaud et Ginsberg
Et nous y croirons et nous y parlerons chanterons crierons
Malgré eux et leurs livres
Chacun d’entre nous inventera sa propre langue
Qu’il sera le seul à parler mais que les autres comprendront d’instinct
Chacun aura un corps d’enfant
Qui restera vierge même après l’amour
Et nous marcherons main dans la main
Chacun dans sa direction
Nous dormirons
Puisque nous n’avons rien d’autre à faire
Le pain a pourri dans nos mains
Nos prières ont des couteaux à la place des yeux
Est-ce que tu nous as déjà vu relever un homme tombé sur une fleur
Est-ce que tu nous as déjà vu
Décrocher un homme accroché au plafond
Ou enterrer un vagabond dans nos maisons
Ou planter un inconnu dans nos jardins
Ne nous as-tu pas vu les fuir
Les fuir
Fuir
Ne nous as-tu pas vu nous enterrer en nous-même
Nous momifier dans nos arbres
Et fuir
Fuir avec nos miroirs devant nos visages
Jusqu’à l’ombre
Où nous dormirons
Où nous ne fuirons plus
Nous dormirons
Nous rêverons
Nous dormirons
Ablutions
Menstrues
Prosternation sodomie
Sodomie
Enfant mort
S’enlever les cheveux un à un égorger ses parents ablution sang sodomiser l’enfant mort s’éjaculer
Un chien me mord au mollet
Aucune sensation
Père et mère même personne j’enfonce un pieu dans sa poitrine aucune sensation je me sodomise je m’éjacule aucune sensation
Libre folie désir
Libre
Aucune sensation
Est-il possible
Libre libre libre libre
S’enlever les cheveux un à un
Bruit sur bruit je ne l’entends pas je le sens je sens le bruit dans ma tête je sais qu’il est là quelque part qu’il est du bruit et rien que du bruit je sais qu’il sait qu’il est du bruit et rien que du bruit
Hier a-t-il existé
Demain est-il possible
Maintenant est quoi
Je est un dieu
Improviser un vide à manger vivant un corps à boire comme on boirait les couleurs lumière rayonnée X
Elle pleut
Au-delà
Le rêve est gris comme la réalité
Je l’ai perdu il y a longtemps
Je l’ai perdu il y a longtemps
Si longtemps que je l’ai oublié
Mais je la retrouve ici
Au sommet de cette montagne de sable
Des années entières
En un instant
Se déversent en nous
Sans dire un mot
Elle met mes mains sur son cou
Et ferme les yeux
Je la perds à nouveau
Cette fois-ci je l’oublie aussitôt
Comme si elle n’avait jamais été quelqu’un d’autre que moi
Comme si elle avait toujours été moi
Moi
Je me regarde comme si j’étais quelqu’un d’autre
Je me rends compte en cet autre
Que je suis
Moi
Que je suis tout simplement moi
Que rien ne m’appartient
Que je n’appartiens à rien
Je l’ai perdue
Je l’ai oublié
Je cherche
Je la cherche
Sans savoir ce que je cherche
Sans savoir que c’est elle que je cherche
Je veux
Et ma volonté sera faite
Je dirai à la lumière d’être
Et elle sera
Je suis
Je suis
Mais je ne saurai jamais
Qui je suis
Ni ce que je suis
La réalité est grise comme le rêve
(Sur « Hambourg concerto », « Double concerto » et « Requiem » de Gyorgy Ligeti, « Free Jazz » de Roberto Pettinato & Now et Radiohead (Live at Earls Court).)